Gabriel Vérot décrit son pays à sa fiancée, Renée Pellissier.

Mon Charnay ne ressemble en aucune façon à vos sites du Dauphiné. C’est la plaine avec toute son immensité paisible.

Tout est monotone, les champs succèdent aux champs, les prés aux prés, et cependant, les paysages ont leur charme particulier.

Deux rivières serpentent dans la plaine et viennent rompre cette monotonie tranquille : la lente Saône et le Doubs plus tumultueux, arrosent nos champs et nos prairies.

Sur leurs rives fleuries, bien des coins charmants arrêtent le promeneur et l’invitent à y rêver en paix.

Pour ma part, je me rappelle avec un amoureux orgueil, maints coins ombrageux, sur la lisière des grands bois qui bordent la Saône : j’aimais à y venir flâner pendant mes loisirs d’étudiant en vacances ; tout en m’extasiant devant les flots bleus et calmes, j’écoutais le gazouillement joyeux des oiseaux qui dans un cœur bruyant, chantaient leur bonheur.

Si j’avais été poète, j’aurais fait des vers… Il n’en est rien.

Passons à un point de vue plus terre à terre.

Vous ne trouvez pas de malheureux à Bossieu, dites vous, il n’en existe pas non plus à Charnay.

Chaque ménage à ses champs, ses prés, ses vignes, son troupeau, sa part au soleil.

Les riches et les pauvres travaillent, les riches plus que les pauvres parfois car au moment des grands travaux, le manque de bras les y oblige souvent ! En tout cas, dans ce petit village, on ne connaît pas la méchanceté si fréquente dans les villes ; les rancunes sont absentes, le pays n’est qu’une vaste famille : quelques désaccords inévitables naissent parfois mais sont vite oubliés. Les peines comme les joies se partagent.

En 1906, ma mère étant tombée malade, mon frère et moi, nous fûmes rappelés du collège, mon arrivée au village, restera toujours gravée dans mon cœur. Tous les voisins pleuraient en m’annonçant leurs craintes qui, heureusement, furent vaines.

Les joies se partagent aussi : une jeune fille, en se mariant, considérait comme un affront que quelque jeune homme ou jeune fille, manque au bal, le soir de ses noces…

Pour ma part, je peux me vanter d’être très aimé dans mon pays, sauf peut-être par les jeunes filles… celles-ci ne m’ont jamais pardonné de repousser avec dédain les flirts les mieux combinés. Les mamans qui me destinaient leur fille ont tout fait pour me rendre plus tendre : aucune n’a compris que mon indifférence notoire était due à un amour plus fort et aucune ne m’a pardonné…

Ma lettre est assez longue pour une fois et la place manquant, je vais m’arrêter. Soyez sûre que vos lettres me font un extrême plaisir, j’aime qu’elles aient quatre grandes pages car j’aime causer longtemps avec vous.

Je vous prie de transmettre mes respects bien sincères à toute votre famille… et témoignage de ma très humble affection.

Avant d’aller au lit, je fais ma prière et je pose ? mes lèvres sur votre médaille que je garde précieusement.

Je vous adresserai demain une de mes photographies, je n’ose pas vous demander un échange !

Si vous voulez me rendre heureux ne manquez pas de le faire, si c’est impossible, pardonnez moi mon audacieuse prière.

Lettre de Gabriel à Renée

Partager cet article